Notre "chez nous"

L'histoire de la Maison helvétienne se distingue singulièrement de celle des autres maisons d'étudiants. En effet, elle dépasse largement le cadre de celle des sociétés d'étudiants pour toucher à l'histoire de notre canton grâce à la célèbre imprimerie qu'elle hébergea dans la deuxième moitié du XlXe siècle. Aussi, penchons-nous un peu sur son passé !

C'est en 1795 que la future Maison helvétienne vit le jour. Un certain Jean-Marc Duvoisin, tisserand de son état, avait acquis à la rue des Escaliers-du-Marché, contre le mur de la terrasse de la cathédrale, un terrain où il fit ériger trois bâtiments : l'actuelle Maison H! (nous lui laisserons ce nom par souci de simplification), une annexe, qui devint son atelier, et une autre bâtisse qu'il ne tardera d'ailleurs pas à céder. En 1830, sa veuve vendra à son tour la Maison H! à Louis Marindin qui, onze ans plus tard, la cédera à ses trois beaux-fils, tous Bellettriens, Louis Gauthey (premier président de l'Ecole normale qui fut du reste, à ses débuts, installée dans la Maison H! ; il devra fuir la Révolution de 1845), Jean-Samuel Mennet et Charles Mayor, médecin et chirurgien réputé.

Quant à l'annexe, elle connut jusqu'en 1870 un destin tout à fait séparé de celui de la Maison H!. En effet, elle fut vendue en 1844 à l'imprimeur Marc Ducloux. Son commerce deviendra vite célèbre. Les plus grands écrivains vaudois du moment, dont Alexandre Vinet, Juste Olivier, Charles Monnard, Charles Secrétan y verront leurs oeuvres imprimées. Ducloux, qui devra fuir lui aussi le canton en 1845, laissera le souvenir de l'un des plus grands artisans de l'essor culturel et intellectuel que connut le canton de Vaud à cette époque. L'imprimerie fut reprise par un capucin italien né à Livourne, Stanislas Bonamici (i1 habita un certain temps la Maison H!), personnage pittoresque s'il en fut, qui s'était enflammé pour le Risorgimento et qui dut, à cause de ses opinions politiques, fuir son pays pour Lausanne.

Sous le nom de «Société éditrice de l'Union», elle devint l'imprimerie attitrée des Pères de l'Unité italienne Mazzini et Arduini... lequel n'était pas encore membre honoraire de l'Helvétia vaudoise ! Malheureusement pour lui, le Statuto proclamé dans le Royaume de Sardaigne lui enleva sa clientèle et son affaire périclita avant de tomber en faillite. Un de ses employés, Siméon Genton, d'abord en association (avec, notamment, le fils d'Alexandre Vinet, Auguste, qui mourut assez jeune), puis tout seul, reprit la direction de l'entreprise. En 1870, il acquerra la Maison H! et les deux bâtiments seront enfin réunis dans les mêmes mains.

Genton mort en 1877, sa veuve poursuivra son activité et s'associera plus tard avec son beau-fils, Charles Viret, député au Grand Conseil, qui fera de cette imprimerie l'une des plus importantes de Lausanne.

Mais la fin du siècle arrive et avec elle le cortège des grands projets de construction mis au point par la Commune de Lausanne. L'un d'entre eux toucha particulièrement la Maison H! : le percement de la rue Pierre Viret (réalisé en 1910). La Municipalité s'engagea dans une grande campagne d'achat et d'expropriation des immeubles - dont une grande parie appartenait à Mme Clara Viret-Genton - qui se trouvaient sur le tracé de la future route. La future Maison H! était désormais propriété de la Commune. A cette date s'y installa, à titre provisoire (!), un café.

Et c'est alors que, le 24 avril 1916, le futur préfet Arthur Prod'hom proposa à l'assemblée des Anciens Helvétiens la création d'un fonds destiné à la construction d'une Maison helvétienne. La commission chargée de trouver le terrain porta son dévolu sur l'ancienne Maison Marindin. Elle entama des négociations avec la Commune et la promesse de vente fut signée quelques mois plus tard.

Mais certains conseillers communaux manifestèrent soudain une opposition farouche, et l'un des membres de la commission ad hoc alla jusqu'à affirmer que, comme la Société de Belles-Lettres aménageait déjà un cercle au nord du pont Bessières, une deuxième société d'étudiants dans ce quartier populeux risquerait de causer des chahuts excessifs !... Un autre se mit, lui, à craindre qu'il y eût «quelque chose par-dessous» dans cette affaire ! La discussion finale eut lieu le 27 mars 1917. A nouveau, partisans de la vente, aux yeux desquels le prix de 15 000 francs était normal et une reconstruction, avantageuse pour l'esthétique du quartier, et opposants s'affrontèrent. Mais, en définitive, après de longs palabres, le Conseil communal ratifia la promesse de vente. L'année suivante, la «Société coopérative de la Maison helvétienne» était inscrite au Registre du commerce et les Anciens helvétiens reçurent les plans, dessinés par l'architecte Bonjour, de la spacieuse demeure, qui devait remplacer la maison biscornue de la fin du XVIIIe siècle !

Malheureusement, les circonstances économiques avaient évolué depuis la fin de la guerre et le beau rêve d'une nouvelle maison helvétienne s'estompait progressivement. Les Helvétiens furent donc condamnés à renégocier son acquisition. La Municipalité, estimant que l'aspect du quartier gagnerait au maintien de la maison dans son état actuel (alors qu'à peine dix ans plus tôt sa destruction était jugée souhaitable voire indispensable à l'embellissement du quartier...), accepta de renoncer à la démolition, moyennant certaines servitudes. Le nouveau plan financier était le suivant : 45 000 francs pour l'achat, plus 40 000 francs pour la restauration et les aménagements, soit 85 000 francs. Le loyer du café et la vente de parts sociales (fixées à 250 francs chacune : leur prix n'a pas changé depuis !) assurèrent le financement de l'opération. Le 1er octobre 1925, une circulaire put annoncer aux Helvétiens la ratification de la vente, et un mois et demi plus tard avait lieu l'inauguration officielle. A signaler cependant que les Helvétiens avaient emménagé dans leur nouveau local en 1921 déjà (quittant ainsi la Villa Perce-Neige sise au chemin de Boston), mais à titre de locataires seulement. Dès 1955, la Maison H! est classée monument historique. L'Helvétia possède également, sous la forme juridique d'une société anonyme, un immeuble locatif à l'avenue de France, le "Foyer helvétien".